Conférence  en clôture de la 57ème AG du CLIPSAS du

F. : Alain de KEGHEL, Grand Maître d’honneur et Refondateur  de la George Washington Union,

passé Grand Commandeur du Suprême Conseil du REAA-GODF, 

Membre de la L. : de Recherche Quatuor Coronati, 

Président de la société de recherches « S.EU.RE France » et 

Ancien président de la loge de recherches « SOURCES »

Barcelone, le 27 mai 2018

 

« Savoir c’est prévoir et prévoir c’est pouvoir ». Cette maxime d’Auguste Comte exprime avec précision la visée et l’horizon de la prospective en général. L’ordre maçonnique affirme depuis 1717, mais plus encore depuis James Anderson en 1723, au travers des Constitutions fondatrices,  notre  vocation à l’universalisme : ce que nous avons traduit dans notre monde contemporain comme notre ambition collective à « œuvrer au progrès de l’homme et de la société ». Ce soir à Barcelone, nous nous retrouvons  réunis pour présenter quelques ambitions prospectives  après que les  obédiences maçonniques signataires de l’Appel de Strasbourg de 1961 aient siégé et aient fini de délibérer dans le cadre du CLIPSAS. Pour y avoir aussi participé comme membre de la délégation de la George Washington Union,  je crois que nous pouvons affirmer ensemble que ces puissances maçonniques libérales  ont  apporté la preuve de leur capacité à s’insérer dans un processus global de réflexion prospective allant bien au-delà des seules proclamations de principe. La 57ème Assemblée générale du CLIPSAS qui vient de tenir ses assises, ici même, est allée encore plus loin, les obédiences membres s’assignant une série  d’objectifs mutualisant  leurs projets. 

 

Mais je ne mélangerai pas les genres. Je ne suis là, à cet instant et à l’invitation du Président François PADOVANI,   que pour suggérerer quelques lignes de réflexion prospective en lien avec un ouvrage que j’ai publié pour le tricentenaire de notre Ordre. Il s’agit donc de vous livrer mes réflexions personnelles sur ce que je considère comme des axes essentiels du futur,  avec le regard de franc-maçon riche d’une longue expérience internationale, d’ancien diplomate et de « projectionniste », si vous me permettez ce néologisme barbare. Avec le regard et l’expérience aussi du chercheur et auteur engagé depuis de longues années dans plusieurs sociétés de recherches et d’études. L’objectif est aussi simple qu’ambitieux, inspiré par plusieurs traditions, au premier chef humaniste, mais avant tout par la notre commune, qui est maçonnique. C'est-à-dire que nous nous adressons prioritairement à la condition humaine dans un univers en pleine mutation. Mais nous n’échapperons pas aux dimensions politiques et philosophiques, ni à une exhortation à la coopération internationale maçonnique intense, embrassant une vision essentielle : « réunir ce qui est épars » pour mieux défendre les principes et valeurs qui détermineront le sort et la qualité de vie des générations futures. N’est-ce pas le défi que tente de relever le CLIPSAS ? Nous sommes moralement requis de catalyser les efforts de tous les acteurs concernés et pour cela il nous faut nous engager dans une véritable étude prospective stratégique pour nous transformer en force de proposition imaginative capable d’envisager le futur avec ambition, réalisme en mobilisant toutes les expertises requises. Un futur qui sera le nôtre, mais plus encore, celui des générations ultérieures. Des réponses sont attendues pour trouver la parade  concrète et la plus généreuse possible à une multiplicité de crises. Des crises globales qui posent un défi majeur au vivre ensemble, à notre civilisation, notre prospérité et notre bien-être – crise climatique et écologique, crises financières, économiques et sociales à répétition, crise de la pauvreté endémique, crise agricole, crise énergétique, crise sanitaire, crise de raréfaction de l’accès à l’eau. Mais aussi crise des valeurs. Crise de l’intolérance générée par un lourd déficit de l’éducation, l’ignorance faisant le lit de tous les extrémismes nourris par des prédicateurs improvisés, mis au service de l’intolérance religieuse résurgente. La laïcité demeure donc un enjeu contemporain essentiel qui menace d’être dévoyé par des forces politiques qui l’ont toujours combattue et, aujourd’hui, tentent de se l’approprier. Interconnectées, ces crises sont grosses de menaces pour chacune de nos sociétés et pour la paix, obligeant à un devoir de solidarité et à un partage des valeurs éthiques entre les individus et les peuples. 

Jamais dans l’histoire, la responsabilité de l’Ordre maçonnique n’aura été autant mise au défi de formuler des propositions dépassant les seules proclamations de bons principes. Je serais tenté  de me référer ici au fameux discours du Chevalier de Ramsay qui dès le XVIIIème siècle  préconisait l’avènement de la « République universelle ». Depuis Mikhaïl Gorbatchev et la perestroïka de la fin des années 1980, nous dirions aujourd’hui, dans notre langage contemporain : Comment redéfinir le vivre ensemble dans notre village planétaire ? Comment hiérarchiser les priorités pour un devenir meilleur, sécurisé  et pacifique, pour  une humanité dont les démographes prédisent à l’horizon 2040  une population mondiale de huit à plus de neuf milliards d’êtres humains ?  Les défis sont immenses. Nous devons avoir le réalisme et l’humilité de ne pas avoir de réponses à proposer à tout. D’autant que la technicité des enjeux requiert une connaissance pointue que seuls des groupes d’experts dans des laboratoires d’idées peuvent aider à éclairer. Mais, sans négliger l’indispensable interconnexion avec eux,  prenons garde de ne pas nous fourvoyer en tombant dans une dépendance aveugle à leur expertise qui nous déposséderait de notre libre arbitre. Le libre arbitre est notre « marque de fabrique » et n’est tout simplement pas négociable. Nous proposerons aujourd’hui de retenir ceux des axes qui nous paraissent donc, à nous prioritaires si vous acceptez vous-même de vous les approprier. Il conviendra ensuite de s’appuyer sur des organismes normatifs dont les instruments seront le plus souvent intégrés aux législations nationales ; ceux de centres d’échanges d’information, en réunissant, par exemple, des experts dans de nouveaux domaines de l’éthique scientifique, notamment en bioéthique (Et j’ouvre une parenthèse ici pour vous rendre hommage d’avoir accepté,  sur proposition de notre TCF et Président  François PADOVANI, le principe de mise en place d’une structure dédiée à la bioéthique)  ; ceux d’organismes de développement des capacités au sein des États et des organisations internationales en développant les compétences dans nos propres rangs ou en les décelant et en les mobilisant en étroite liaison avec les institutions pertinentes ; ceux, enfin, de catalyseur de la coopération internationale pour  œuvrer de concert et  favoriser le dialogue entre les cultures. Pour mener à bien ces missions dans leur complexité et leur multiplicité, la prospective stratégique est un instrument essentiel, en particulier pour intégrer et exprimer nos attentes et nos ambitions dans toute leur étendue. Le recours à des outils, mécanismes et méthodologies prospectives doit s’en trouver encore accru. Notre obligation prospective sera d’anticiper pour atteindre et améliorer les résultats en sachant ne pas négliger la gestion du risque sur laquelle doit aussi se concentrer notre attention aux menaces et aux opportunités qui peuvent affecter notre environnement interne et externe de manière inattendue. Il s’agit ici d’une obligation prospective d’appréhender l’incertitude qui est la marque même de l’avenir. Il faut donc savoir gérer en vue d’un meilleur résultat en sachant quels risques prendre, partager ou éviter. Et cette appréhension globale, nous ne pouvons y accéder qu’en devenant acteur parmi les acteurs. L’anticipation et la prospective n’ont de sens, en effet, que si on travaille collectivement à en diffuser les concepts et les méthodes – car destinées aux organisations, qu’elles soient publiques, privées ou associatives, nationales ou internationales. Cependant, nous ne saurions aliéner notre liberté ni notre mode de pensée émancipée qui doit pouvoir se formuler dans  l’impertinence et le pragmatisme des ses analyses, par une liberté de ton et de propos, qui feront partie la force de nos prises de position. Plutôt que d’invoquer de façon quasi mécanique le progrès, tentons l’innovation .Trois grandes lignes directrices devraient dès lors nous guider :

  • Comprendre les évolutions, c'est-à-dire détecter et analyser les faits qui font sens,  en séparant la réalité des mythes qui sont partie intégrante de notre tradition et doivent rester cela;
  • Contester,  lorsque ces évolutions sont inadaptées ou inacceptables, en gardant intacte notre capacité d’étonnement critique et nos repères éthiques,  un autre « marqueur »   de l’Ordre maçonnique;
  • Proposer des solutions pragmatiques mais toujours respectueuses de la personne humaine en  redonnant sens à la gouvernance humaine, sociale, politique et économique.

Notre exercice débute donc ici et maintenant et je vais donc ouvrir des pistes de domaines qui n’ont aucune prétention d’exhaustivité. Il ne s’agit, à ce stade préliminaire, bien plutôt, que d’ouvrir le débat qui gagnera à se poursuivre et s’approfondir dans notre effort collectif. Je pense ici bien sûr à notre colloque.

 

1. La transmission culturelle, le patrimoine scientifique, le hasard et le risque:

Nous devons être particulièrement attentifs, je dirais par vocation humaniste, à ce que le biologiste Richard Dawkins a défini, dès 1976 : « Les unités de transmission culturelle ou des unités d’imitation ». Il s’agit là de l’utilisation opérée sur Internet de la propagation d’images, de vidéos, d’attitudes via les réseaux sociaux. Pour s’y intéresser utilement, il faut croiser sur ce sujet des regards académiques d’anthropologues et de sociologues, comme de spécialistes de sciences plus « dures ». L’ampleur vertigineuse des enjeux renvoie notamment aux limites sur lesquelles nous sommes menacés d’être entrainés.  Jusqu’où pouvons-nous recourir raisonnablement à la fabrication à l’aide de robots ou d’algorithmes de modèles nouveaux qui risquent de nous échapper ? Pour être plus explicite, il convient ici de se référer aux projets déjà engagés depuis 2011 de recherche sur l’intelligence artificielle et les dangers majeurs que comporte la possibilité d’établir entre deux « réseaux neuronaux » d’intelligence artificielle pour gréer des codes secrets leur permettant de communiquer entre eux en se protégeant de toute autre intelligence , artificielle ou humaine, en créant des formes de cryptage, c’est à dire  des langues indéchiffrables pour tous, même pour leurs créateurs. Si l’utilité, voire même la nécessité, de développer des moyens de communication permettant de protéger et de véhiculer des messages confidentiels ne sont pas contestables, notamment au regard des défis posés en matière de sécurité, il est terrifiant de savoir que ces intelligences artificielles  peuvent aussi prendre leur autonomie ; qu’elles peuvent d’abord considérer que leur mission est de contrecarrer ceux de nos comportements qui à leurs yeux, nous nuiraient ; qu’elles peuvent ainsi penser que l’humanité courre à sa perte et décider, pour notre bien, de l’arrêter à temps. Mais à l’inverse elles pourront aussi bien agir contre l’humanité, dans leur seul intérêt ; surtout si elles pensent que, à terme, nous aurons intérêt à les détruire : elles peuvent alors nous combattre, en position de « légitime défense ». Doit-on arrêter cela ? Sans aucun doute me semble-t-il et comme Jacques Atali a pu l’écrire en tirant la sonnette d’alarme, il est urgent qu’une grande conférence planétaire sur l’intelligence artificielle réunisse savants et gouvernants pour décider un moratoire sur ces recherches, comme on l’a fait dans d’autres domaines, par exemple sur les armes chimiques et bactériologiques ou les manipulations sur les cellules souches. Face à un défi d’une telle ampleur l’Ordre maçonnique a non seulement vocation mais l’obligation de se mobiliser.  

 

2.  La fiscalité à repenser:

Une autre réflexion d’ordre anticipatrice, et plus générale,  eut dû retenir l’attention dès l’instant où débutèrent l’ère industrielle et le remplacement du travail de l’homme par celui de la machine. Elle eut aussi mérité une réflexion qui ne fait que débuter,  sur la pertinence d’une taxation des robots alors que le débat commence à rebondir, ici ou là, sur la pertinence de créer un revenu de base universel en lien avec la théorie contestée de la raréfaction du travail. Cette proposition de revenu de base universel, considérée par les uns comme utopique et selon d ‘autres comme une réponse adéquate, avait déjà été  avancée par Thomas More en 1516 dans L’ Utopie. La  thèse avait été défendue à nouveau en 1797 par Thomas Paine dans  La justice agraire avant d’être reprise par les socialistes utopistes proches de Charles Fourier au XIXème siècle. Nous qui nous référons à la démarche initiatique avec notre part d’utopie, avons indéniablement vocation à nous intéresser de très près à ces problématiques complexes. Nous devons le faire dans une approche humaniste mais sans nous enliser dans des ornières idéologiques et de politique politicienne. En choisissant cette voie exploratoire nous ne renierions rien de la tradition. En revanche, nous affirmerions notre vocation à repousser toujours plus loin les limites de l’impossible et à envisager les effets sociaux et économiques induits de phénomènes résolument nouveaux pour la société de demain. 

 

3. Les enjeux de manipulation de l’ADN:

Sur le plan de la recherche médicale, en prenant l’exemple de ce que l’on pourrait qualifier de « bataille de l’ADN », nous savons aujourd’hui déjà qu’un centre Human Longevity Inc. (HLI)  créé en 2013 vise à séquencer des millions d’êtres humains pour tenter de corréler le génotype (ADN et épi génétique) avec le phénotype (notre état physique, médical et cognitif). Le but avoué est de créer un logiciel permettant d’optimiser la prise en charge des patients et d’augmenter leur espérance de vie. Mais les généticiens sont sur le point de franchir une autre étape qui ouvrirait cette fois la perspective d’une redéfinition radicale de l’humanité. Nous abordons ici ce qu’il convient d’appeler le transhumanisme et l’ambition annoncée par un généticien de l’université de Harvard (George CHURCH), de créer  en dix ans un génome humain entièrement nouveau permettant de générer des cellules humaines totalement inédites. Autrement dit, de nous acheminer vers une redéfinition de l’humanité. Un débat sur l’encadrement des projets transhumanistes devient urgent et nous Franc-maçons devons naturellement y occuper une place de choix.

 

4. la Bioéthique:

L’émergence des sciences dures dans le champ de notre réflexion collective et prospective est un phénomène qui, s’il n’est pas totalement nouveau, prendra une place croissante car les enjeux, notamment en matière de bioéthique et sanitaire, ne nous permettent pas d’en faire l’économie. Nous comptons heureusement dans nos rangs un nombre non négligeable de scientifiques ayant toutes les qualifications requises. Mais force est de constater que la complexité de plus en plus grande des défis posés à nos sociétés, notamment en matière sanitaire, mais plus généralement à la croisée des chemins entre biologie humaine, sociologie et éthique, requerront d’avoir recours à des expertises étendues et variées qu’il nous faut aller solliciter sans frilosité aussi auprès des experts les plus hautement qualifiés y compris en dehors de nos Temples. Pour citer quelques exemples, nous savons au travers d’une étude récente du Walters Reed Institute, que si l’on ne découvre pas rapidement de nouveaux antibiotiques, les bactéries résistantes pourraient tuer dix millions de personnes d’ici à 2050. C’est donc bien une course contre la montre qui s’engage. Une perspective que seules peuvent conjurer la modification des comportements afin de passer à une utilisation raisonnée des antibiotiques et une relance des efforts de recherche et développement pour découvrir de nouvelles molécules. Ce qui implique une volonté politique, des moyens financiers et une mobilisation des acteurs, publics et privés, de la recherche. Pour nous qui plaçons l’homme au centre de notre démarche philosophique, nul doute que nous avons vocation  à prendre part au débat et à faire entendre notre voix innovatrice. J’en ai dit un mot en introduction et vous aviez anticipé ici même en l’inscrivant à votre programme l’extension du champ de vos réflexions.

 

5. Des très riches plus nombreux: un défi  humaniste:

Un rapport du cabinet conseil Boston Consulting Group (BCG) montre que le phénomène de concentration des richesses s’est confirmé en 2016. Le nombre de millionnaires a augmenté de 6% en 2015 pour atteindre le chiffre de 18,5 millions. Les foyers fortunés représentent 1% seulement de la population mondiale et détiennent ensemble 47 % de la richesse financière de la planète (épargne bancaire, épargne financière et assurance vie). Un pourcentage qui pourrait grimper à 52% à l’horizon 2020 selon le Cabinet BCG. Ce constat conduit un professeur à la London School of Economics et chercheur à l’université de Berkeley en Californie, Gabriel Zucman,  à estimer que les inégalités de fortunes explosent au niveau mondial. Le rapport du BCG confirme cette tendance : plus on monte dans la pyramide des richesses, plus le taux de croissance de la fortune est élevé : + 9% par an pour les patrimoines de 100 millions de dollars et plus, contre 3,7% pour ceux de moins d’un million de dollars. A titre de comparaison, la richesse mondiale privée a cru de 5,2% en 2015 à 167 800 milliards de dollars, en recul par rapport à 2014 (+ 7,5%) en raison des effets persistants de la crise financière. Si nous ne pouvons pas prétendre remédier à cette funeste concentration de la richesse, nous ne pouvons en ignorer les effets induits pour la plus grande partie de l’humanité et notre humanisme nous fait obligation morale de concourir aux efforts de correction qui sont indispensables tant au titre de l’équité que des risques que font encourir à la paix de tels excès.

 

6. L’urbanisme social moderne:

Les projets de ville habitable sont à repenser pour l’homme en leur centre dans une habitabilité sociale d’envergure où les ingrédients soient fédérés et mis en synergie. Il faut pour cela des urbanistes concepteurs de programmes porteurs d’une véritable innovation sociale, économique, urbanistique, architecturale présupposant qu’ils soient connectés aux tissus urbains et sociaux. On peut ainsi imaginer de nouveaux modèles d’hybridation rassemblant à l’échelle locale des équipements et des services privilégiant des projets les plus proches des lieux de vie existants ou potentiels, plutôt que de les cannibaliser par un projet hors-sol, en décourageant des générations de militants de la ville et de la vie urbaine. Associer et répartir plutôt que séparer et concentrer, fédérer plutôt que diviser, optimiser les ressources y compris celles éducationnelles, sanitaires et culturelles

 

7. La bonne maîtrise des « data » personnelles:

La  protection des données personnelles,  une autre problématique sensible et de première importance à l’heure  des réseaux sociaux, paraitra également mériter notre mobilisation même si une hiérarchisation des priorités s’imposera. En effet, les flux de données individuelles permettant de réguler la vie urbaine échappent le plus souvent au pouvoir politique démocratiquement élu, au profit des opérateurs du numérique. Par exemple, IBM met à profit la data publique, en s’appuyant sur l’hypothèse que l’administration privée de ces données ouvrira la voie à l’optimisation des infrastructures. Ce modèle trouve déjà son application au Brésil, à Rio de Janeiro, par une surveillance constante des flux de la ville. Danah Boyd, sociologue chez Microsoft fait valoir sans détour et avec une vision utilitariste de l’industrie de la data – efficacité, optimisation, centralisation -   que « la donnée c’est le pouvoir ». On relègue de la sorte à l’arrière-plan les enjeux de justice, d’éthique et de bien commun. Dans cette vision, le digital devient l’incarnation du pouvoir urbain, un levier pour faire  la ville avec ceux qui en sont dépossédés, un laboratoire lucratif des solutions aux défis économiques, sociaux et environnementaux de la ville. La ville intelligente mérite mieux. La politique de la donnée peut infiniment plus et le politique est donc interpellé sur sa volonté d’activer la « donnée commune » au service du public pour forger une alchimie de partenariats et des outils neufs de régulation. Le philosophe américain Michael J. Saandel, professeur de sciences politiques à Harvard, observe que les citadins ignorent tout de la data dont ils s’approprient les nouveaux services. Il serait temps que nous nous invitions nous aussi à la table de ce que certains dénomment la smart city pour contribuer à définir le rôle du citoyen en s’engageant dans la définition de ce qui serait une bonne gouvernance de la cité. En effet, le digital s’avère être un levier de transformation de nos cité, bien plus considérable que ne le furent et le sont l’électricité et la voiture.

 

8. Les risques de la société « post-vérité »:

L’année 2016 et la campagne électorale présidentielle de Donald Trump aux Etats-Unis d’Amérique, resteront dans les annales comme des marqueurs de l’ère de la « post-vérité » dont le dictionnaire d’Oxford précise que cette expression signifie : « relatif aux circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence sur la formation de l’opinion que l’appel aux émotions et aux croyances personnelles ». Le phénomène est apparu il y a une douzaine d’années mais ne s’est imposé qu’en 2006 au Royaume-Uni lors du referendum sur le Brexit. Il prend une telle ampleur que même nos structures n’y échappent pas toujours…Le défi posé par ce qui menace de conduire à la généralisation de la norme post-vérité nous concerne donc tous. Outre qu’il heurte notre éthique car il ne s’agit rien de moins que de travestir la vérité, il constitue une menace pour le vivre ensemble avec le risque de constitution de « bulles cognitives », où chacun s’enferme dans ses convictions dénuées de fondement objectif. Il en va donc de la crédibilité de l’information et finalement du bon fonctionnement démocratique ainsi mis en danger.

 

9. La laïcité un débat moderne:

Sous toutes latitudes et donc dans des contextes nécessairement divers, la laïcité fait partie des combats que l’Ordre maçonnique se doit de poursuivre au nom de l’absolue liberté de penser. Des défis nouveaux nous sont posés et nous devons faire preuve de la plus grande détermination lorsque certains tenteront de relativiser si ce n’est de nier l’importance de cet enjeux qui ne peut ni ne doit être négligé et encore moins détourné ni dénaturé: détournements sémantiques, compromissions avec les communautarismes, tergiversations et trahisons politiques qui ruineraient tous les acquis qui ne souffrent aucune apathie coupable. 

 

Nous nous en tiendrons aujourd’hui à l’énumération succincte de ces quelques pistes. La liste des sujets d’intérêt serait longue et méritera d’être travaillée collectivement. Mon espoir est, très humblement, d’avoir sensibilisé chacune et chacun, si vous ne l’étiez déjà, ce que je présume, aux défis et enjeux qu’il nous appartient d’identifier pour tenter de rechercher les voies et moyens de nous y intéresser en profondeur pour proposer des solutions, principe même au cœur de notre vocation maçonnique.

Merci de votre patiente attention en fin d’Assemblée générale. Votre mérite à m’écouter fut d’autant plus grand.

J’ai dit.