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Discours sur le paysage maçonnique américain devant la Juridiction de York, La Marque  du GODF

Paris le 19 février 2022 par Alain de KEGHEL, 33° Passé TPSGC du S.C. REAA-GODF

 

 

   Le Rite de York et de la Marque du GODF, le principal des rites traditionnels pratiqués aux Etats-Unis dans les loges symboliques mais également acteur majeur dans les hauts grades, me fait l'honneur de m'inviter en sa Juridiction au GODF et pour son 20ème anniversaire, à vous exposer aujourd'hui ma vision du paysage maçonnique américain qui fait tant fantasmer. Je vous remercie de cette attention fraternelle et marque de confiance amicale à l'endroit d'un F de notre obédience qui a eu le privilège assez rare de pratiquer des activités maçonniques sept années durant aux Etats-Unis et d'y développer des réseaux d'échange qui perdurent. C'est donc une restitution d'expérience de terrain que je viens en toute modestie partager avec vous sans prétendre pour autant à une quelconque exhaustivité. J'ai déjà choisi cette voie du partage lorsque j'ai entrepris il y a quelques années d'écrire un ouvrage dédié à la franc-maçonnerie en Amérique du Nord dont l'objectif était de tenter de jeter des ponts sans  rien renier de ce que nous sommes au GODF.

Ce n’était bien sûr pas le fruit du hasard si  j'avais choisi pour titre à cet ouvrage une référence au fameux Défi américain de Jean-Jacques Servan-Schreiber. Ce n’est pas non plus seulement parce que nos chemins se croisèrent au début des années quatre-vingt-dix. Une amitié s'était ainsi nouée  avec  JJSS  et mon choix constituait un hommage à la vision de celui qui fut l’un des premiers à se livrer à une enquête complète à partir de l’observation des États-Unis pour assembler les éléments du  puzzle complexe de l'Empire américain pour dissiper les malentendus.

 Jean-Jacques Servan-Schreiber écrivait: « Nous ne sommes pas en présence d’un impérialisme politique classique, d’une volonté de conquête, mais, plus mécaniquement, d’un débordement de puissance dû à la différence de “pression” entre l’Amérique du Nord et le reste du monde, Europe comprise. Cette surpuissance de l’Amérique est ressentie, ...son caractère le plus nouveau étant l’accélération... ».

 

Notre propos se limite ici à l’Ordre maçonnique dans sa dimension américaine. Mais mon  livre ambitionnait naturellement de convoquer une prise de conscience de ce qui est en route et se prépare et à quoi la franc-maçonnerie française et européenne ne saurait rester spectatrice indifférente.

Et en effet,  la franc-maçonnerie d’Amérique du Nord pèse toujours d'un poids considérable. Elle est différente à bien des égards  des Grandes Loges d’Europe continentale mais pas moins  des obédiences du Royaume-Uni. Cet espace est finalement assez méconnu, à l’exception d’un nombre limité de Franc-maçons français qui le fréquentent. Alain Bauer et moi-même avons eu cette particularité et cette complicité pragmatique voici justement une vingtaine d'années en prenant ensemble des chemins de traverse. Donc j'ai aujourd'hui un peu le sentiment de recomposition de ligue dissoute. C'était une époque où, en dehors de toute autre considération, les forces vives conjuguaient leurs efforts dans un seul souci d'efficacité. La création de la Juridiction de York s'inscrivait alors aussi  dans cette dynamique innovante.

C’est avec une approche  se dégageant autant que possible des poncifs que je propose de survoler ici dans le peu de temps qui nous est imparti, la complexité de l'édifice composite maçonnique des Etats-Unis qui repose sur un socle essentiellement de York. Nous voici donc arrivés au cœur de notre sujet de ce jour: les Grandes Loges régissent un certain nombre de dispositions qui s’appliquent à leurs périmètres juridictionnels et donc aux ateliers des grades symboliques. Les degrés après la Maîtrise et singulièrement les deux grands Suprêmes Conseils du Rite Écossais Ancien et Accepté en font tout autant. Ces deux sphères distinctes et  complémentaires, affichent des singularités. Les cousinages anglo-saxons n’excluent point les spécificités américaines à commencer par la place qu'y occupent les side degrees alors que ce n'est pas le cas en Grande Bretagne L’Ordre maçonnique américain, complexe par nature est parfois difficile à cerner pour ceux qui évoluent dans notre environnement gaulois.

Evidement, les Franc-maçons américains se réclament, comme nous et à bon droit, de racines traditionnelles "andersoniennes" qu’ils partagent avec leurs frères séparés du Vieux Continent. La franc-maçonnerie française, comme celle de Londres, y apparaît comme un fil d’Ariane. Ils n’y a donc aucun mal à admettre la filiation historique composite qui les y rattache en sachant s’abstraire de la doctrine parfois avec pragmatisme comme c'est le cas en Californie.

Le déclin de la franc-maçonnerie américaine, sujet bouteille à l'encre qui fait nos délices un peu faciles, s’il correspond bien à une certaine réalité, mérite une analyse réaliste pour en mesurer l’ampleur réelle, sans pathos de la décadence, ni panégyrique de la renaissance. Lorsqu'on part de plus de 4 millions de maçons en 1957, un effectif aujourd'hui inférieur à 1.5 millions n'est pas tout à fait négligeable mais traduit bien une tendance. Il n'en demeure pas moins vrai que ce n'est encore pas encore un corps au bord de l'abîme.

Un rapide retour historique nous remémore qu'il faudra plus de cent ans après l’arrivée en terre américaine du Mayflower avant que des traces d’activités maçonniques documentées n’apparaissent. Souvent très distantes les unes des autres, les loges eurent bientôt besoin d'une cohésion obédientielle placée sous l’autorité d’un Grand Maître provincial nommé par le Grand Maître de la Grande Loge d’Angleterre, Henry Price. Les premiers documents faisant foi ne datent que du 30 juillet 1733. Un an plus tard, Benjamin Franklin édite la première version américaine des Constitutions d’Anderson, premier ouvrage maçonnique publié aux États-Unis. Il devait ensuite accéder lui-même aux responsabilités de Grand Maître provincial de Pennsylvanie... avant de devenir Vénérable de la célèbre Loge des Neuf Sœurs à Paris. Premiers indices de complicités maçonniques transatlantiques nous intéressant directement.

Dès les tout premiers mois qui suivent sa nomination, Franklin fait part au Grand Maître à Londres du souhait des Franc-maçons de sa juridiction d’élire un Grand Maître provincial et ses conseillers, en l’attente de l’installation d’un Grand Maître autonome pour l’Amérique. Une démarche sans doute en avance sur son temps, mais annonciatrice à la fois d’une affirmation ainsi que d’une volonté d’émancipation des frères américains qui, déjà, se démarquent de l’Europe. Ce n’est pourtant qu’en 1778, deux ans après la déclaration d’Indépendance du 4 juillet 1776 à Philadelphie, qu’interviendra la séparation officielle d’avec la Grande Loge d’Angleterre.

En fait, l’autorité obédientielle territoriale n’est déjà plus exercée à Boston par la seule Grande Loge d’Angleterre, qui se trouve donc en situation de  «concurrence» avec  la Grande Loge d’Écosse.

La première obédience américaine voit alors le jour en Pennsylvanie. Traversée par des courants contraires – loyalistes contre patriotes partisans de la Révolution américaine – héritière aussi des fameuses querelles de rites entre Ancients et Moderns, cette première obédience à proprement parler américaine connaît les vicissitudes des périodes troubles que va traverser  la société civile. C’est aussi, dès la fin des années 1780, qu’est  reconnue la première loge noire créée par le prédicateur et esclave émancipé Prince Hall, initié en 1775 par une loge irlandaise.

Durant  la guerre d’Indépendance, les Franc-maçons se retrouvent en situation de « missionnaires de l’Ordre », mais chacun dans son camp, à l’opposé du principe de « centre de l’union » énoncé par Anderson. Ce contexte insurrectionnel  ne constitue nullement un frein à une forte implantation de la franc-maçonnerie ni aux activités des loges que l’on voit même se multiplier assez rapidement. C'est également le cas dans les nouveaux territoires lors de la poussée vers le Far West qui est accompagnée, elle aussi, d’une expansion remarquable de la présence maçonnique.

Maçonnerie, « establishment » fondateur et pouvoir

Les grandes figures américaines ayant appartenu à la franc-maçonnerie est longue et objet d'un culte des « pères fondateurs ». Leur héritage se confond avec le très fervent patriotisme, le culte du drapeau et du serment d’allégeance à la nation, à l’instar, mais peut-être un peu plus encore, de la société civile.

George Washington jouit bien sûr d’une place prééminente qu’aucun ne lui dispute dans ce panthéon des prestigieux ancêtres, La Fayette, autre figure emblématique, y étant étroitement associé et étant, avec Grasse-Tilly à un moindre degré. Il en est qui en revanche sont véritablement détestés, tel Cerneau qui eut l'outrecuidance de prétendre concurrencer le REAA en terre américaine.

Benjamin Franklin, figure aussi au nombre des Franc-maçons américains particulièrement vénérés et à Philadelphie, où fut proclamée, le 4 juillet 1776, l’indépendance des États-Unis, un monument rend hommage aux signataires de la Constitution américaine dont un tiers d’entre eux étaient Franc-maçons. C’est dire combien les débuts politiques des États-Unis furent marqués du sceau des Lumières et de la philosophie maçonnique.

Aujourd’hui, il faut bien admettre que la mémoire collective américaine a quelque peu tendance à oublier la part considérable qu’a prise le jeune général La Fayette dans la conquête de l’indépendance. Mais La Fayette reste toujours un symbole emblématique, un peu facile il est vrai,  des liens franco-américains. Son vaisseau, l’Hermione, reconstitué à Rochefort, et sa tournée triomphale que j'ai pu accompagner en Amérique en fut l’un des poignants témoignages en 2015.

Il faut se rendre à l'évidence que le berceau matriciel britannique de notre Ordre  initiatique continue d'imprégner la maçonnerie américaine tout entière et que notre influence maçonnique  s'en trouve nécessairement d'autant limitée dans un pays qui a toujours un regard méfiant sinon condescendant à notre endroit et accepte mal notre prétention à continuer à jouer un rôle dans la "cour des grands" au Conseil de Sécurité de l'ONU et ailleurs.

Si nous entendons mieux nous rapprocher de nos FF séparés américains, il importe de commencer par les mieux connaitre. Il nous faut  prendre en compte le contexte socioculturel dans lequel ils vivent et évoluent depuis les débuts de leur jeune histoire. En effet, leurs repères et références sont, à de nombreux égards, très différents de ceux de leurs frères d’Europe continentale et surtout latine. Les premières loges d’Amérique du Nord portent incontestablement la marque du contexte si singulier de la Nouvelle-Angleterre et des WASP (White Anglo-Saxon Protestant, soit : « Anglo-Saxon blanc et protestant »).

L'esprit spiritualiste chrétien protestant est peut-être d’autant plus mis en avant que la fameuse affaire Morgan,  est passée par là en 1826 et a laissé des traces profondes au point de menacer l'existence même des loges américaines. Dans un pays dont la devise est In God we trust, il est mal vu, encore aujourd’hui, de s’affirmer libre-penseur. C'est même une incongruité inconcevable dans l’esprit d’un franc-maçon américain pour lequel le Grand Architecte de l’Univers, notion de référence intangible, ne peut qu’être le Dieu révélé.  La laïcité est, elle-même, une notion étrangère à l’univers américain et, en conséquence, tout simplement difficile à concevoir pour un esprit « états-unien » normalement constitué. Notre convent de 1877 a été sur-interprété et continue de l'être, créant une défiance difficile à surmonter.

Un sondage effectué au début de l’année 2001 par le centre de recherche Pew est assez significatif à cet égard: 70 % des personnes interrogées considéraient qu’il était important pour elles que le président des États-Unis ait de profondes convictions religieuses, alors même que la Constitution américaine garantit la séparation de l’Église et de l’État. C’est d’ailleurs en raison même du fameux Premier Amendement de la Constitution des États-Unis, garantissant la liberté absolue d’exercice religieux, héritage du Mayflower des origines, qu’il y a là-bas une telle profusion de sectes et de groupuscules religieux de toutes sortes, plus que partout ailleurs dans le monde. Il est également significatif que 45 % des personnes interrogées lors du sondage précité affirmaient assister à un service religieux au moins une fois par semaine. Cependant, la société américaine est, par définition, dynamique: un autre sondage réalisé en 2011 et garantissant l’anonymat des sondés, a révélé que près d’un Américain sur quatre admettait ne pas croire en un dieu quelconque.

Même si nous avons du mal à l'admettre, il n'est pas surprenant qu’Albert Pike ait intitulé son principal ouvrage d’enseignement maçonnique Morals and Dogma faisant toujours autorité. L’un des autres théoriciens les plus connus de la maçonnerie américaine, Albert G. Mackey, fut lui aussi auteur d’ouvrages de référence  de semblable inspiration déiste, dont l’Encyclopedia of Freemasonry  et son livre Symbolism. Et en 1908, Arthur Steiner a même proposé une approche encore plus hardie dans son livre Étude sur la franc-maçonnerie américaine  pour proposer « plus de lumière sur la franc-maçonnerie américaine en tant que religion ".

Puisque nous diagnostiquons ensemble cet univers...

La progression initiatique américaine obéit aussi à des usages sensiblement différents de ceux prévalant en Europe.  L’entrée de l'initié en loge – qui ne se dénomme donc pas « initiation » – et l’accès à la maîtrise s'opèrent le plus souvent de quelques mois, lorsqu’ils ne se limitent pas à quelques semaines, laps de temps nécessaire à l’apprentissage par cœur des rituels des trois grades symboliques qui sont transmis exclusivement par tradition orale et jamais reproduits in extenso.  Les Franc-maçons américains font valoir que l’apprentissage et la lente progression initiatique peuvent tout aussi bien intervenir grâce à une pratique qui s’acquiert tout au long de la vie en loge. Et celle-ci reste effectivement, pour l’essentiel, consacrée aux seuls aspects relatifs à la connaissance de la tradition et du rituel, au moins pour ceux qui y sont assidus. Et c’est là que le bât blesse aujourd’hui. Les Franc-maçons américains désertent de plus en plus leurs temples. En cela les quelque 1,4 millions d'adhérents ne signifient pas pour autant qu'ils soient autant à être assidus.

Quant aux hauts grades, que certains dénomment à l’anglaise side degrees (car il est bien connu que, de l’autre côté du Channel et dans les rangs de la Grande Loge de Londres, comptent avant tout sinon seulement les trois premiers grades), ils sont conférés au REAA, du 4e au 32e, en l’espace d’une session durant le temps d’une fin de semaine et dans le cadre d’une cérémonie collective regroupant des « promotions » ou falls de plusieurs dizaines de frères Maîtres. Occasion de communiquer très rapidement les rudiments de ces grades ainsi vidés de l’essentiel de leur contenu. L’accès au 33e et dernier degré est, en revanche, beaucoup plus sélectif et strictement réservé à un nombre véritablement restreint de Franc-maçons américains.

Quant à la ségrégation, en dépit d’évolutions salutaires sensibles depuis que le pasteur Martin Luther King est passé par là, les communautés maçonniques blanche et noire ne se mélangent toujours pas ou si peu dans un pays, où perdurent des traditions de communautarisme. La franc-maçonnerie « noire » de la Grande Loge Prince Hall, mais aussi celle des loges de création plus récente, telles Hiram Abif, Gran Logia de Lengua Espanola ou Omega, ont développé leurs propres systèmes des hauts grades, entièrement indépendants, mais aux caractéristiques pour l’essentiel identiques à celles des deux juridictions « blanches ». Elles s'adossent par contraste parfois plus volontiers au GODF mais sont lilliputiennes.

Les Grandes Loges méritent que nous en disions un mot. Dans une symétrie parfaite avec la construction  fédérale institutionnelle, chaque État, hormis celui d’Hawaï, est doté depuis 1813 d’une Grande Loge souveraine et indépendante édictant ses propres règles. En matière de reconnaissance des obédiences tierces, les landmarks édictés par la Grande Loge Unie d’Angleterre, corps dogmatique définissant unilatéralement les règles dites de « régularité » ayant été encore modifié en 1989, constituent cependant un socle commun. Ces Grandes Loges sont au nombre de cinquante, y compris le district de Columbia, c’est-à-dire la capitale fédérale, Washington. Leur autorité juridictionnelle s’exerce sur quelque 13 000 loges « blanches », tandis que trente-six Grandes Loges de l’obédience Prince Hall régissent les quelque 5 000 ateliers « noirs », totalisant un effectif d’environ 500 000 membres contre aujourd’hui moins d’un million et demi de Franc-maçons « blancs ». Des chiffres certes encore impressionnants pour un Européen, mais à méditer en les rapprochant encore une fois des plus de quatre millions de membres encore en 1957, comme je l'indiquais précédemment.

En l’absence d’une Grande Loge nationale de type jacobin, qui n’aurait pas davantage pu être acceptée que n’aurait pu l’être un  pouvoir civil  fédéral centralisateur, la devise des États-Unis E Pluribus unum prend également toute sa valeur paradoxale communautariste dans le champ maçonnique. En effet, les cinquante Grandes Loges gèrent leurs relations entre elles dans le cadre de la conférence des Grands Maîtres des Grandes Loges d’Amérique du Nord (Mexique, États-Unis et Canada) dotée d’un secrétariat assumé par rotation par l’un des Grands Maîtres américains.

C’est lors de ces assises annuelles que notre ami Grand Maître du Grand Orient de France, Alain Bauer, fut exceptionnellement invité à prendre la parole en 2003, à l'invitation du Grand Maître et secrétaire alors en exercice, Tom Jackson,  comme suite à une rencontre co-organisée avec mon concours à Sacramento sous l’égide de la Grande Loge de Californie et de son vaillant secrétaire général John Cooper III plusieurs fois ensuite invité en ces lieux de la rue Cadet à y prendre à son tour la parole. L’événement fut marquant. L'intervention de notre Grand Maître était la première incursion, sans concession aucune du Grand Orient de France, dans ce cénacle où règnent sans partage  les landmarks. La Grande Loge de France, alors en éternelle quête d’improbable reconnaissance, en conçut inévitablement une profonde amertume. La Grande Loge Nationale Française marqua en revanche sa totale indifférence, sachant immuables les règles d’exclusivité dont elle bénéficiait alors et que cette prestation, exceptionnelle mais circonstancielle,  ne les mettait nullement en danger. Il n’en demeure pas moins vrai que, même si elle ne bouleversait pas l’ordre du monde maçonnique, cette prise de parole d’un Grand Maître du Grand Orient de France dans ce cadre très formel où sont conduites les grandes concertations ainsi qu’arrêtées les principales orientations stratégiques et où prévaut la voie du consensus,  fut d’une grande portée symbolique. Les uns et les autres en restèrent là.

À côté de la maçonnerie symbolique et du système dit de comité, le corps maçonnique américain comporte quatre rites :

-     Dans le rite de Royal Arch, le grade dit aussi de La Marque est conféré aux seuls anciens Vénérables de loges et constitue le premier d’une série de cinq autres degrés capitulaires. Il est organisé en un grand chapitre général dont l’origine date de 1798. Les chapitres locaux sont administrés sous l’autorité d’un grand chapitre dans chacun des États où ceux-ci existent. Ce grade fut conféré la première fois aux États-Unis d’Amérique comme side degree dès 1753, dans la loge de Fredericksburg (Virginie).

-     Le Rite de la Crypte, créé en 1783 à Charleston (Caroline du Sud), se réfère à la voûte sacrée située sous le temple de Salomon. Ses origines sont attribuées aux instructeurs itinérants de l’époque de la marche vers l’Ouest.

-     La chevalerie templière des Knights Templars, rite chrétien, a vu le jour en 1816. Elle est organisée en un Grand Campement Général pour l’ensemble des États-Unis.

Dans un paysage maçonnique aussi composite et où le rite de York domine quasiment sans partage aux trois premiers degrés de la maçonnerie symbolique, le Rite Écossais Ancien et Accepté est, par essence, celui des hauts grades après la maîtrise, même si quelques rares loges symboliques américaines le pratiquent dans les trois premiers degrés. Pour l’essentiel, il est administré par deux juridictions écossaises souveraines « blanches » et deux structures semblables « noires » relevant de Prince Hall. La plus ancienne des deux grandes juridictions américaines, et aussi la plus importante tant en termes d’effectifs, de zone géographique territoriale de couverture que de rayonnement international et d’influence, est la juridiction sud du REAA. À l’instar de la Grande Loge Unie d’Angleterre pour les loges symboliques, elle affirme sa primauté universelle en se réclamant du titre de Mother Supreme Council of the World (Mère de tous les Suprêmes Conseils du monde). Elle fut créée le 31 mai 1801 à Charleston (Caroline du Sud) par un groupe de frères ayant pour la plupart fui Saint-Domingue, que l’on dénomme communément les Gentlemen de Charleston. Ce sont eux qui conférèrent au rite sa structure en trente-trois degrés telle qu’elle prévaut partout dans le monde aujourd’hui, et ce depuis plus de deux cents ans.  Elle regroupe, outre les ateliers situés dans les États du Sud, tous ceux qui le sont dans les États à l’ouest de l’Illinois et du Wisconsin, totalisant un effectif de quelque 500 000 frères se répartissant entre 42 orients et 221 vallées sur 35 États. La Juridiction nord  totalisant quelque 350 000 Franc - a, quant à elle, son siège à Lexington (Massachusetts) et exerce, depuis 1813, son magistère dans 15 États .

Ce panorama serait incomplet s'il n'était pas fait référence à nos cinq loges américaines. En effet, le GODF a depuis très longtemps déployé des tentatives d'implantation avec des résultats " inégaux" mais qui se sont heurtés avec une belle constance à une forte résistance locale. Mais ceci ne signifie pas qu'il soit ignoré par des maçons anglo-saxons dont le pragmatisme est légendaire. A preuve les incursions en Californie auxquelles j'ai fait référence, mais aussi les conférences d'études et de recherches qui, à la suite des initiatives de 2007 à Edimbourg, ont fini par déboucher sur un dialogue décomplexé et régulier entre chercheurs entre Paris et Washington...mais toujours en éludant l'épineuse question de la reconnaissance. Nous devons bien admettre que nos tentatives d'établissement ont toujours rencontré des vents contraires lorsque ce ne fut pas une acrimonie féroce, à commencer par les puissantes offensives contre Cerneau. En quelque sorte l'application de la doctrine Monroe ou en tous cas de l'exclusivité juridictionnelle territoriale. La loge l'Atlantide à l'Orient de NY est solidement établie depuis bien plus de cent ans. Nos loges francophones et d'expatriés plus récentes aussi à Washington, DC, Los Angeles, San Francisco puis celle encore en phase de démarrage très récent et, selon moi, un peu incertain en Floride, sont toujours considérées comme des "ovnis". En 1976, notre Grand Maitre et ami Serge Béhar avait bien tenté de briser le plafond de verre en donnant suite à une demande de quelques FF français de New-York en acceptant la création d'une loge anglophone, la loge mixte "George Washington N°1" bientôt membre du CLIPSAS, pour nous y assurer une voix supplémentaire. Un projet qui s'enlisa promptement et fut ressuscité à l'initiative du Conseil de l'Ordre en 1995 après les journées du Pacifique. La George Washington Union, mixte et anglophone - dont je fus personnellement chargé de la lancer alors que j'étais VM de la RL La Fayette 89 - mit un certain temps à s'installer mais fait désormais partie intégrante du paysage maçonnique américain. Elle connait aujourd'hui une dynamique insoupçonnée et multiplie ses implantations. La GWU ne menace évidemment personne aux USA et figure désormais au répertoire des obédiences "irrégulières" de la Conférence des GL d'Amérique du Nord. Le DH fédération américaine, il n'a jamais connu qu'une existence très marginale. Je vous épargnerai les développements désagréables que pourrait inspirer l'éphémère et douloureuse aventure du Grand Orient des Etats-Unis des années 2000 qui fut seulement  une piètre pantalonnade dommageable à notre image.

Au moment de conclure, nous n'échapperons pas au contexte et à une tentative de mise en perspective. Les effets d'une démographie favorable à l'avancée inexorable des hispaniques s'ajoutant au "wokisme", conduit les héritiers WASP à des réflexes de repli identitaire qui ne renvoient pas seulement à Donald Trump et ont trouvé aussi leur expression extrêmement inquiétante dans l'assaut du Capitole en janvier 2021. Pour reprendre l'analyse pertinente d'un éditorialiste français fin connaisseur, "les démocraties libérales dévorent leurs présidents" et ce grand pays maniaco-dépressif où la "déclinite" est " une maladie aussi vieille que la République américaine" est aujourd'hui exposé à des interrogations et incertitudes qui n'épargneront pas non plus  l'Ordre maçonnique fragilisé aussi par les effets d'une société de l'immédiateté du numérique.  Mais il n'a cependant pas fini de faire rêver.

 

 

  

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